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Brand est l'incarnation de la force et de la volonté. Brand appartient à cette catégorie d'élus ?qui ont re?u la grace, la faculté, le pouvoir, de souhaiter une chose, de la désirer, de la vouloir, avec tant d'apreté, si impitoyablement, qu'à la fin, ils l'obtiennent?[8] ou ils succombent.
Ce n'est pas en réveillant de brillantes qualités qu'on guérira des ames estropiées, c'est de volonté qu'il s'agit. C'est la volonté qui rend libre..., ou qui tue. Elle est toujours la même, chez le petit comme chez le grand, toujours entière au milieu de l'éparpillement de toutes choses!
?Venez à moi, dit Brand, hommes, qui vous tra?nez lourdement dans cette vie. Ame contre ame, dans une communion intime, nous allons tenter l'oeuvre de purification, abattre l'indécision, imposer silence au mensonge et réveiller enfin le jeune lion de la volonté!?
Il ne s'agit pas de gémir et de pleurer platoniquement sur la triste condition de la nature humaine, sur les misères du monde, il faut agir. ?Là où se trouve l'action, se trouve la force.?[9]
L'activité maladroite produit toujours plus de résultats que la mollesse prudente. Si l'oisiveté peut tuer à la longue une volonté saine, l'action peut sauver une volonté malade. Homines sunt voluntates, a dit saint Augustin. La volonté c'est l'homme même.
Au milieu de ce tourbillon d'images, de désirs, de passions qui s'agite en nous, nous démêlons clairement une force irréductible, capable de régler tout ce mouvement: la volonté. ?Je veux, je ne veux pas?, ces mots gouvernent notre intelligence, notre sensibilité, notre esprit, tout notre être. Il ne suffit plus de dire avec Descartes: Cogito, ergo sum; il faut dire: J'agis, donc je vis. Je ne suis moi qu'autant que j'agis. Pour qu'une ame d'homme ait de la dignité, de la beauté morale, il faut que la volonté y règne en souveraine. La volonté, qui est la faculté essentiellement active de l'homme, concentre la puissance de toutes les autres facultés en vue de l'action qui est la manifestation suprême de la vie humaine. La destinée de l'homme, qui est le total de ses actes, est d'autant plus élevée, d'autant plus noble, d'autant plus utile, qu'elle se compose d'actes plus conformes au vrai, au bien, au juste, au beau, c'est-à-dire de manifestations plus pures de l'emploi de la volonté. La volonté, c'est la pensée voulue.?La pensée voulue, la pensée réfléchie, la véritable pensée humaine en un mot, ne saurait exister sans que se produise une de ces volitions toujours intentionnelles qu'on nomme idées-motrices[10]. ?Vivre, c'est vouloir; vivre, c'est agir; mais agir réellement, c'est agir avec conscience, avec la décision de dominer ses propres actes, de leur imposer une unité, de leur imprimer la forme de l'idéal que l'on porte en soi. La conscience, c'est l'ame dans la plénitude de ses facultés et de ses forces. La volonté est le principe de notre activité consciente, c'est elle qui donne le rayonnement et la valeur à notre vie. Sans volonté, il n'y a pas de caractère et sans caractère, il n'y a pas d'homme.
?Voici ce qui est écrit en caractères de feu par une main éternelle, dit Brand: Sois ferme jusqu'à la fin, on ne marchande pas la couronne de vie. Pour te purifier, ce n'est pas assez des sueurs de l'angoisse, il faut encore le feu du martyre; si tu ne peux pas, tu seras certes pardonné; mais si tu ne veux pas, jamais!?
?Délivrer la volonté ou succomber!? crie-t-il de toutes les fibres de son ame. L'homme capable de pousser ce cri sublime, dira et fera ce qu'il a à dire et à faire, malgré tous les obstacles, toutes les montagnes. ?Réduites par la montagne, les paroles résonnent longtemps quand on parle à voix forte et pleine.?[11]
Quand donc l'humanité guérie des mensonges s'élèvera-t-elle jusqu'à la volonté consciente! Brand nous fait voir que la volonté consciente engendre la liberté et la justice. ?Au-dessus de la volonté, dit-il, règne un Dieu de liberté et de justice.?
Ce n'est pas ici le lieu de discuter la question: l'homme est-il libre? ?La question du libre arbitre est du domaine de la métaphysique et insoluble.?[12] ?Libres ou non, nous tendons à la liberté, à l'indépendance absolue dont nous avons l'idée.?[13]
La liberté n'est pas une faculté que nous apportons en venant au monde et que nous ne courons pas risque de perdre: nous ne la possédons que si nous nous la donnons à nous-mêmes. ?Nous ne naissons pas libres, mais capables de devenir libres et soumis à l'obligation de le devenir. C'est là le privilège de l'homme et sa dignité propre, qu'il ne re?oit pas de la Nature un caractère tout fait et une destinée immuable: il est lui-même l'artisan de sa grandeur.?[14]
Brand nous montre que la volonté fait na?tre la liberté qui engendre la justice. ?Accourez, natures fra?ches et jeunes; qu'un souffle de justice balaye la poussière qui vous couvre dans cette sombre impasse!? Car la liberté sans la justice est une chimère. ?La justice n'est pas une convention humaine. Quelle que soit sa nature, elle est éternelle et immuable.?[15] Ceux qui disent: ?La justice n'est pas de ce monde? mentent. La justice n'est pas un attribut divin inaccessible à l'homme; la justice est le droit de l'individu et de l'humanité.
?La vérité et la justice ne sont pas des hasards; elles sont au fond même des ames humaines; elles en sont la loi idéale; et ce n'est point par leurs manifestations mutilées et débiles qu'il faut juger de leur force, mais par la promesse d'avenir qu'elles portent en elles, par la secrète vertu qui, t?t ou tard, ici ou là, doit aboutira de belles révélations.[16] ?Nous préférons tous la justice à l'injustice. Ce qu'il nous manque, c'est le courage d'être juste. La justice suprême, la justice sincère, la justice se jugeant elle-même et jugeant selon ses propres maximes, nous ne la trouverons nulle part, si nous ne parvenons pas à la faire na?tre, cro?tre et fleurir en nous-mêmes. C'est en nous-mêmes, dans les profondeurs de notre ame, de notre conscience, que nous devons puiser l'amour, la volonté, la liberté, la justice.