Robert Burns
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Chapter 9 LA COMéDIE DE L'AMOUR.

Nous n'en avons pas fini avec l'amour dans Burns. Il n'en a pas représenté que la face sentimentale et poétique, mais aussi les c?tés risibles, prosa?ques et grotesques. Sa faculté d'observation, qui n'était gênée par aucune pensée d'harmonie littéraire dans son ?uvre, s'est exercée là comme ailleurs. Il a vu et rendu tout un aspect de la vie amoureuse, que les poètes ne per?oivent pas, ou réservent pour leurs conversations.

Il en a saisi les comédies aussi bien que les adorations, et il y a, dans ce chapitre, tout un coin familier, amusant, risible, tout un défilé de caractères et de scènes populaires. Après les graces et les charmes de l'amour, voici toutes ses ruses, ses méchants tours, ses tromperies, ses calculs, ses artifices, ses situations ridicules et piteuses. Rien n'y manque. Prières de jeunes gars qui viennent le soir frapper à la fenêtre et demandent à être introduits, réflexions de fillettes qu'on veut marier à de vieux richards, conseils de vieilles commères aux jeunesses qui interrogent leur expérience des hommes et des choses, épousailles grotesques, disputes d'époux, allégresses de veufs, épisodes de toute espèce, de toute forme et de tout sel, fin, moyen et gros. Tout cela est crayonné vivement, comme une suite de caricatures prises sur le fait. C'est la comédie entière de l'amour, avec toutes ses péripéties et ses vicissitudes dr?latiques. Elle embrasse, elle aussi, toutes les situations, et on pourrait reconstituer avec ces pièces risibles, une vie entière d'amour, à partir des premières rencontres.

C'était, on l'a vu, l'usage des jeunes paysans écossais que d'aller le soir faire leur cour, parfois à une distance de plusieurs milles. Cette coutume, dont le c?té pur et gracieux a été poétisé dans la chanson de Ma Nannie ?!, se retrouve ici avec ce qu'elle devait avoir souvent de plus prosa?que et de plus réel. On entend les dialogues qui devaient souvent s'échanger à travers le volet.

?Qui est là, à la porte de ma chambre??

?Oh! qui est là, sinon Findlay??

?Passez votre chemin, vous n'entrerez pas ici!?

?En vérité, j'entrerai,? dit Findlay.

?Qui vous rend si semblable à un voleur??

?Oh! venez voir,? dit Findlay.

?Avant le matin, vous aurez fait un malheur,?

?En vérité, je le ferai,? dit Findlay.

?Si je me lève et vous laisse entrer,?

?Laissez-moi entrer,? dit Findlay.

?Vous me tiendrez éveillée avec votre bruit.?

?En vérité, je le ferai,? dit Findlay.

?Si dans ma chambre vous restiez,?

?Laissez-moi rester,? dit Findlay.

?J'ai peur que vous n'y restiez jusqu'au matin,?

?En vérité, je le ferai,? dit Findlay.

?Si vous restez ici cette nuit,?

?J'y resterai,? dit Findlay,

?J'ai peur que vous ne retrouviez le chemin?

?En vérité, je le ferai,? dit Findlay.

?Ce qui pourra se passer dans cette chambre,?

?Laissons-le passer,? dit Findlay,

?Il faut le taire jusqu'à votre dernière heure,?

?En vérité, je le tairai,? dit Findlay[655].

Quelques-unes de celles qu'on sollicite ainsi sont avisées; elles tiennent la dragée haute, connaissant, sans doute, par pur instinct de femme, la vérité du conseil de Méphistophélès aux belles ?qu'il ne faut accorder un baiser que la bague au doigt?.

Fillette, quand votre mère n'est pas à la maison,

Puis-je prendre la hardiesse

De venir à la fenêtre de votre chambre

Et d'entrer pour me garder du froid?

De venir à la fenêtre de votre chambre?

Et quand il fait froid et humide

De me réchauffer sur votre doux sein?

Douce fillette, puis-je faire cela?

Jeune homme, si vous avez la bonté,

Quand la ménagère n'est pas à la maison,

De venir à la fenêtre de ma chambre

Quand je suis couchée seule,

Pour vous réchauffer sur mon sein,

Remarquez bien ce que je vous dis,

Le chemin jusqu'à moi passe par l'église,

Jeune homme, entendez-vous cela?[656]

Malheureusement, elles n'ont pas toutes aussi bonne tête. La voix derrière le volet est parfois si tendre et si persuasive. En hiver, il est dur de laisser le pauvre gar?on, qui vient de si loin à travers les moors, se morfondre sous les rafales; en été, les sillons d'orge sont bien tentants; en toute saison, ces heures de nuit sont mauvaises conseillères. Que ce soit lui qui entre ou elle qui sorte, cela, dit-on, revient au même.

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.

Quand père et mère en deviendraient fous,

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars.

Mais fais bien attention quand tu viens me faire la cour,

Et ne viens pas à moi à moins que la porte de derrière ne soit entr'ouverte,

Puis franchis la barrière, que personne ne te voie,

Et viens comme si tu ne venais pas chez moi.

à l'église, au marché, partout où nous nous rencontrons,

Passe près de moi comme si tu t'en souciais comme d'une mouche,

Mais glisse un regard de ton doux ?il noir;

Cependant aie l'air de ne pas me regarder.

Jure et proteste toujours que tu ne te soucies pas de moi,

Et, quelquefois, tu peux légèrement rabaisser ma beauté, un peu

Mais n'en courtise pas une autre, même en plaisantant,

De peur qu'elle ne détache ta fantaisie de moi.

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars,

Quand père et mère en deviendraient fous,

Oh! siffle, et je viendrai vers toi, mon gars[657].

Il n'y a pas que ces entrevues nocturnes qui soient dangereuses. En mille autres occasions, il y a des rencontres funestes. Et ici la vie de la campagne para?t dans son jour vrai, avec la facilité, ou plut?t la na?veté, de m?urs qui se cache sous sa prétendue innocence. Tant?t, c'est en faisant ensemble la moisson, cette saison des meules.

Robin a fauché à la moisson,

Et j'ai fauché avec lui;

Je n'avais pas de faucille,

Et pourtant, je l'ai suivi.

Robin me promit

De me nourrir l'hiver;

Il n'avait rien que trois

Plumes d'oie et un sifflet[658].

Les marchés et les foires sont aussi des endroits dangereux, surtout quand on y va en croupe avec Duncan Gray. Il suffit que la selle soit vieille et que la sous-ventrière casse, pour qu'il se produise des chutes malheureuses, auxquelles la lune, qui regarde par-dessus les collines, semble prendre grand plaisir.

Malheur sur vous, Duncan Gray,

Ha, ha, la sous-ventrière!

Malheur sur vous, Duncan Gray

Ha, ha, la sous-ventrière!

Quand les autres vont s'amuser,

Je reste assise tout le jour,

à remuer le berceau avec mon pied,

à cause de la sous-ventrière.

Claire était la lune d'ao?t,

Ha, ha, la sous-ventrière!

Brillante au-dessus de toutes les collines,

Ha, ha, la sous-ventrière!

La sous-ventrière cassa, la bête tomba,

Je perdis mon bonnet et mes deux souliers,

Ah! Duncan, vous êtes un mauvais gars,

Maudite soit cette mauvaise sous-ventrière!

Mais, Duncan, si vous tenez votre serment,

Ha, ha, la sous-ventrière!

Je vous bénirai à mon dernier souffle,

Ha, ha, la sous-ventrière!

La bête encore nous portera tous deux,

Le vieux ma?tre John réparera le mal,

Et raccommodera la sous-ventrière[659].

Parfois enfin, on va à la ville porter du fil à tisser. Là encore, que d'emb?ches! Ces tisserands sont bien subtils à attraper le c?ur des fillettes.

Mon c?ur était jadis aussi joyeux et libre

Que les jours d'été étaient longs,

Mais un tisserand de l'ouest, un joli gars,

M'a fait changer ma chanson.

Chez le tisserand, si vous allez, jolies fillettes,

Chez le tisserand, si vous allez,

Je vous avertis, n'allez jamais la nuit,

Si vous allez chez le tisserand....

Ma mère m'a envoyé à la ville

Pour faire ourdir un tissu de plaid;

Mais que cet ourdissage m'a fait lasse, lasse,

M'a causé de soupirs, de sanglots!

Un beau gars tisserand de l'ouest

Travaillait assis à son métier,

Il a pris mon c?ur comme dans un filet

Dans les bouts de fil et les n?uds.

Ce qui fut dit ou ce qui fut fait,

La honte me prenne si je le dis,

Mais, oh! j'ai peur que le pays bient?t

Ne le sache aussi bien que moi[660].

Hélas! le pays, en effet, ne tarde pas à tout savoir. Les chuchotements viennent, puis les reproches et les railleries, avec des expressions goguenardes et grossières. Ces duretés se font jour, avec ce manque de pitié qui est commun aux paysans et aux enfants, et qui donne à leurs remarques quelque chose de si direct et de si cruel. Cela se termine par une de ces plaisanteries brutales, sur lesquelles le groupe se disperse avec des éclats de rire, en laissant la pauvre fillette confuse et pleurante.

Vous vous êtes couchée de travers, fillette,

Vous vous êtes couchée de travers.

Vous vous êtes couchée dans un autre lit,

Et avec un homme étranger.

Vos joues rosées sont devenues si pales,

Vous êtes plus verte que l'herbe, fillette,

Votre jupon est plus court d'une main,

Bien qu'on ne l'ait pas raccourci d'un pouce, fillette.

?, fillette, vous avez fait la sotte,

Vous éprouverez le mépris, fillette,

Car la soupe que vous prenez le soir,

Vous la rendez avant le matin, fillette.

Oh! jadis, vous dansiez sur les collines,

Et à travers les bois, vous chantiez, fillette,

Mais, en saccageant une ruche d'abeilles,

Vous vous êtes fait piquer, fillette[661].

Comme cela est inévitable, les comédies du mariage fournissent des scènes nombreuses. L'argent, la dot, en est le grand ressort. Nul n'était mieux disposé à railler ce point particulier que l'ancien président du Club des Célibataires de Tarbolton. On se souvient que le premier sujet de discussion avait été de savoir s'il vaut mieux épouser une femme riche et sans charmes qu'une femme aimable et sans fortune[662]. Burns était sévère pour les mariages d'argent. Aussi, est-il intarissable sur les situations comiques et divertissantes que ces marchés matrimoniaux peuvent amener.

Voici d'abord les avisés qui pensent que la beauté passe et que la dot demeure. On sait les sages conseils que le père Maurice donne à Germain au début de la Mare au Diable. C'était aussi l'avis de quelques madrés paysans écossais. Il y en a plus d'un qui met, sans vergogne, son c?ur à nu.

Au diable votre sorcellerie de la beauté tremblante,

Ce petit morceau de beauté que vous serrez dans vos bras!

Oh! donnez-moi une fillette qui a des acres de charmes,

Oh! donnez-moi une fillette avec de bonnes fermes.

Donc, hey pour la fillette avec une dot,

Donc, hey pour la fillette avec une dot,

Donc, hey pour la fillette avec une dot,

Les jolies guinées jaunes pour moi!

Votre beauté est une fleur qui fleurit le matin,

Fanée d'autant plus vite qu'elle a fleuri plus t?t;

Mais les charmes délicieux des jolies Collines vertes,

Chaque printemps les vêtit à neuf de jolies brebis blanches.

Et même quand votre beauté a exaucé vos v?ux:

La plus brillante beauté peut fatiguer, quand on l'a possédée;

Mais les doux jaunets chéris, avec l'empreinte de Georges,

Plus longtemps vous les avez, et plus vous les caressez[663].

Mais ces beaux calculs ne réussissent pas toujours. à matois, matoise et demie. Il y a de fines mouches qui savent bien à qui ces déclarations s'adressent, et l'une d'elles dit dans une jolie chanson:

Oh! mon amoureux fait grand cas de ma beauté,

Et mon amoureux fait grand cas de ma famille;

Mais mon amoureux ne sait pas que je sais fort bien

Que ma dot est le joyau qui a des charmes pour lui.

C'est pour la pomme qu'il veut nourrir l'arbre,

C'est pour le miel qu'il veut soigner l'abeille;

Mon gars est tombé si amoureux de l'argent,

Qu'il ne peut pas lui rester un peu d'amour pour moi[664].

Les hommes sont après tout ma?tres de se marier comme il leur semble bon. Ceux qui apprécient à la vergée la beauté de leur future et qui épousent des prairies et des bois sont clairsemés en somme. Qu'il leur advienne ce qui voudra! Quand le mariage leur rapporterait un peu plus de bois qu'ils n'y comptaient, c'est une faible erreur de calcul. Ils ont simplement la large mesure. Mais il se rencontre de braves gar?ons qui, avec de bons bras, sont prêts à nourrir une belle fille. Ceux-ci sont encore les plus nombreux. Aussi les pièces qui roulent sur la recherche de la dot sont-elles assez rares du c?té masculin.

Mais que le c?té féminin en est riche! Que les femmes sont bien plus à plaindre! à la merci du premier venu auquel il pla?t à leur famille de les accorder! Quel défilé de pauvres filles qu'on veut faire marier à contre c?ur. Les parents sont partout les mêmes. Ils sont pour le bonheur en terre et les gendres fonciers.

Combien cruels sont les parents

Qui n'estiment que la richesse,

Et à un riche lourdaud

Sacrifient la pauvre femme!

Cependant, la fille malheureuse

N'a que le choix de la lutte:

Fuir la haine d'un père despotique,

Devenir une épouse malheureuse[665].

Et la chanson continue en comparant la pauvrette à une colombe poursuivie par un faucon. Elle fuit un moment, essaye ses ailes, et désespérant d'échapper, tombe aux pieds du fauconnier qui représente le mari. Sur ce thème, à moitié comique et à moitié douloureux, Burns est intarissable. Il y a à grouper, autour de ce seul point, une quinzaine de chansons avec lesquelles on constituerait toutes les phases de cette aventure commune, depuis les premières instances des parents jusqu'au moment où les résultats ordinaires de pareils mariages commencent à poindre. Les hésitations, les combats, les refus, les chagrins des pauvrettes y sont tout au long. Elles demandent conseil tout autour d'elles et ce sont de petites scènes charmantes de na?veté et de malice.

L'une d'elles va trouver sa s?ur: son c?ur se brise, elle ne veut pas irriter ses parents, mais que fera-t-elle de Tam Glen? Avec un aussi brave gar?on ne pourrait-elle pas supporter la pauvreté, et que lui importe de se rouler dans les richesses si elle n'épouse pas Tam Glen? Il y a un propriétaire voisin qui se vante et parle toujours de son argent, mais quand dansera-t-il comme Tam Glen? Sa mère lui répète de se défier des jeunes hommes qui ne flattent que pour tromper, mais qui peut penser cela de Tam Glen? D'ailleurs, à la Toussaint, elle a mouillé sa manche gauche à un ruisseau et l'a suspendue devant le feu pour qu'à minuit celui qu'elle doit épouser v?nt la retourner. Et qui est venu? sinon une apparition qui portait les culottes grises de Tam Glen?

?Viens, conseille-moi, chère s?urette, vite,

Je te donnerai une belle poule noire,

Si tu m'avises d'épouser

Le gars que je préfère, Tam Glen.?[666]

Elles ne re?oivent pas toujours la réponse dont elles sont désireuses. Elles s'adressent quelquefois à des commères avisées, quelque dame bien ridée qui sait que ?de bon conseil ne sort jamais de mal?.

Oh! fillette étourdie, la vie est un combat;

Même pour les plus heureux, la lutte est dure;

On combat mieux les mains pleines,

Et les soucis qui ont faim sont de durs soucis.

Mais l'un dépense et l'autre épargne,

Et les mauvaises têtes veulent avoir leur gré;

Selon que vous aurez brassé, ma jolie fille,

Souvenez-vous que vous tirerez la bière[667].

La petite aura beau répéter qu'elle ne donnerait pas un regard de Robin pour la grange et l'étable d'un autre, que l'argent ni l'or n'ont jamais acheté un c?ur loyal, que le fardeau que l'amour porte est léger, que le contentement et la tendresse apportent la paix et la joie, et que les reines n'ont rien de plus sur leur tr?ne, les avertissements de la vieille voisine la renvoient pensive.

Que faire? Quelques-unes, les plus décidées, refusent nettement et envoient promener ces prétendants laids et vieux dont toute la séduction est dans leurs sacs d'écus. Elles leur disent leur fait comme des filles qui ont la langue leste et dont la main le serait aussi. Il y en a une entre autres qui ne va pas par quatre chemins. C'est assurément une vaillante fille, qui sait ce qu'elle veut et ce qu'elle ne veut pas, et qui ne manque ni d'esprit ni de fierté.

La rose rouge-sang peut fleurir à No?l,

Les lis d'été éclore dans la neige,

Le froid peut geler la plus profonde mer,

Mais un vieil homme ne me mènera jamais.

Me mener moi, et moi si jeune,

Avec son c?ur faux et sa langue flatteuse;

C'est une chose que vous ne verrez jamais,

Car un vieil homme ne me mènera jamais.

Malgré toute sa farine et tout son grain,

Malgré tout son b?uf frais et son b?uf salé,

Malgré tout son or et son argent blanc,

Un vieil homme ne me mènera jamais.

Son bien peut lui acheter vaches et brebis,

Son bien peut lui acheter vallons et collines,

Mais il ne m'aura jamais, ni à fonds, ni à bail,

Un vieil homme ne me mènera jamais.

Il se tra?ne, cassé en deux, comme il peut,

Avec sa bouche sans dents et sa vieille tête chauve,

La pluie tombe de ses yeux rouges et chassieux;

Ce vieil homme ne me mènera jamais[668].

Si le vieil homme ne se le tient pas pour dit, c'est qu'il est sourd, outre le reste. Mais toutes n'ont pas aussi bonne tête et cette clarté de langue qui ne permet pas de se méprendre sur ce qu'elles pensent. Il y a de petites niaises qui probablement s'imaginent, comme l'ingénue de Molière, que les familles se perpétuent par l'oreille. On les marie, sans qu'elles sachent ce qu'on leur fait faire. Le lendemain, elles pleurnichent sottement.

Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,

Ce que grand'mère a fait, ce que grand'mère m'a fait,

Oh! savez-vous ce que grand'mère m'a fait,

M'a fait jeudi soir, gars?

Elle m'a mise dans un lit doux,

Dans un lit doux, dans un lit doux,

Elle m'a mise dans un lit doux,

Et m'a souhaité bonsoir, gars.

Et savez-vous ce que le curé a fait,

Le curé a fait, le curé a fait.

Et savez-vous ce que le curé a fait,

Pour quelques gros sous, gars?

Il a laché sur moi un long homme,

Un gros homme, un fort homme,

Il a laché sur moi un long homme,

Qui aurait pu m'effrayer, gars.

Et je n'étais qu'une jeune créature,

Une jeune créature, une jeune créature,

Et je n'étais qu'une jeune créature,

Avec personne pour me plaindre, gars.

C'est l'église qui est à blamer,

Qui est à blamer, qui est à blamer,

D'effrayer une jeune créature,

Et de lacher un homme sur moi, gars[669].

Si le long homme n'est pas, quelque jour, allongé encore, il passera, comme on dit, par une belle porte. La chanson n'est pas longue à changer. La niaiserie, sur ces choses, n'est chez les femmes que de surface; la plus innocente est prompte à se délurer. Alors le dépit vient, et les reproches, dont on se fait une provision d'excuses pour soi-même. à ce compte, les défauts s'accumulent vite sur le mari; les prétextes vont du même train. Telle fillette qui, peut-être a eu les étonnements de celle qu'on vient d'entendre, parle maintenant d'un autre ton.

Que peut faire une jeunesse, que fera une jeunesse,

Que peut faire une jeunesse, avec un vieil homme?

Malheur aux écus qui ont poussé ma mère

à vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres;

Malheur aux écus qui ont poussé ma mère

à vendre sa Jenny pour de l'argent et des terres.

Il est toujours à se plaindre du matin au soir,

Il tousse, et il bo?te, toute la longue journée;

Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé;

Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu,

Il est caduc, il est engourdi, son sang est gelé,

Ah! triste est la nuit avec un vieil homme vermoulu.

Il gronde et il grogne, il s'agite et il bougonne,

Il n'est jamais content, quoi que je fasse.

Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens.

Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!

Il est hargneux et jaloux de tous les jeunes gens,

Ah! malheur sur le jour où j'ai rencontré un vieil homme!

Ma vieille tante Katie prend pitié de moi,

Je vais essayer de suivre son plan.

Je le tracasserai, je le harasserai, tant qu'il perde l'ame,

Alors, son vieux cuivre me procurera une po?le neuve;

Je le tracasserai, je le harasserai tant qu'il perde l'ame,

Alors son vieux cuivre me procurera une po?le neuve[670].

Mais il faut se garder de croire que toutes les filles d'écosse aient été mariées par contrainte. Si on en pousse quelques-unes au mariage, les autres y vont bien d'elles-mêmes. Il n'en manque pas de fines et de futées, qui savent chercher et trouver un mari toutes seules. Ce sont alors de jolis jeux de coquetterie. Les demoiselles de la ville ne leur en remontreraient pas sur ce chapitre. Ce manège est heureusement exposé dans une chanson qui est une vraie petite comédie. Les refus prétendus du commencement, la niaiserie de l'amoureux qui les prend pour argent comptant et cherche à se consoler ailleurs, le dépit de la fillette, la confiance qu'elle a dans un de ses regards, sa fa?on si féminine d'achever sa rivale en demandant de ses nouvelles, la brusque volte-face de l'amoureux qui du coup perd la tête et se tuera si elle ne l'accepte. Elle le fait, mais à cause de lui et par grace; la rusée a l'air de faire un sacrifice.

En mai dernier, un bel amoureux descendit le long du vallon

Et me fatigua, m'obséda avec son amour,

Je dis qu'il n'y avait rien que je ha?sse comme les hommes.

Le diable l'emporte de m'avoir crue, de m'avoir crue,

Le diable l'emporte de m'avoir crue.

Il parla des dards de mes jolis yeux noirs,

Et jura qu'il se mourrait d'amour pour moi,

Je dis qu'il pouvait mourir quand il lui plairait,

Le Seigneur me pardonne d'avoir menti, d'avoir menti,

Le Seigneur me pardonne d'avoir menti.

Et cependant, il offrait une ferme bien garnie et le mariage aussit?t. Elle pensait bien qu'elle pouvait avoir de pires offres. C'est alors que le benêt s'en va trouver la noire cousine Bess.

Mais, la semaine suivante, tourmentée de soucis,

J'allai à la foire de Dalgarnock.

Et qui était là, sinon mon bel amoureux volage?

J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier, un sorcier,

J'ouvris les yeux comme si je voyais un sorcier.

Mais, par-dessus mon épaule gauche, je lui lan?ai un regard,

De peur que les voisins ne disent que j'étais hardie.

Mon amoureux dansa comme s'il avait été gris,

Et jura que j'étais sa chère fillette, sa chère fillette,

Et jura que j'étais sa chère fillette.

Je m'informai de ma cousine, tout doucement et tranquillement,

Si elle avait recouvré l'ou?e,

Et comment ses souliers neufs allaient à ses vieux pieds tortus.

Mais, cieux, comme il se mit à jurer, à jurer,

Mais, cieux, comme il se mit à jurer!

Il me pria, pour l'amour de Dieu, d'être sa femme,

Sinon, je le tuerais de chagrin;

Aussi, pour préserver la vie du pauvre gar?on,

Je crois que je dois l'épouser demain, demain,

Je crois que je dois l'épouser demain[671].

C'est un sujet analogue dans la chanson de Duncan Gray. Mais, tandis que la précédente est toute faite d'observations, celle-ci est faite de grosse ga?té, le récit est interrompu par un grand éclat de rire qui éclate à chaque instant, se répercute de strophe en strophe, devient contagieux, et secoue toute la pièce d'une lourde et joviale hilarité.

Duncan Gray est venu ici faire sa cour,

Ha! ha! la jolie cour,

Une belle nuit de No?l, quand nous étions gris,

Ha! ha! la jolie cour.

Maggie rejeta la tête en l'air,

Le regarda de c?té et de haut,

Et lui dit de se tenir coi,

Ha! ha! la jolie cour!

Duncan flatta, et Duncan pria,

Ha! ha! la jolie cour;

May fut sourde comme Ailsa Craig[672],

Ha! ha! la jolie cour.

Duncan sortit et rentra de gros soupirs,

Pleura, eut les yeux rouges et troublés,

Parla de sauter dans une cascade,

Ha! ha! la jolie cour!

L'arrivée de ce pauvre amoureux transi, dans la bagarre joyeuse d'une nuit de No?l, son attitude gauche, et celle sottement dédaigneuse de Maggie sont bien amusantes. Mais, malgré son air contrit, Duncan Gray n'est pas une bête.

Le Temps et la Chance sont comme les flots,

Ha! ha! la jolie cour,

L'amour dédaigné est dur à supporter,

Ha! ha! la jolie cour.

Irai-je comme un sot, dit-il,

Pour une chipie hautaine, mourir?

Elle peut aller... en France, je m'en moque!

Ha! ha! la jolie cour.

Comment cela se fit, que les docteurs le disent;

Ha! ha! la jolie cour,

Meg dépérit à mesure qu'il guérissait,

Ha! ha! la jolie cour.

Elle sent une peine en sa poitrine,

Elle pousse des soupirs pour se soulager,

Et, oh! ses yeux disent de telles choses;

Ha! ha! la jolie cour.

Duncan était un gars de pitié,

Ha! ha! la jolie cour,

Maggie était en mauvais cas

Ha! ha! la jolie cour!

Duncan ne voulut pas causer sa mort,

La pitié en lui étouffa la colère.

Maintenant, ils sont contents et heureux,

Ha! ha! la jolie cour![673]

Le jour des épousailles lui-même ne passe pas inaper?u. C'était souvent un jour de lourde joie et d'ivresse. On en a quelques aper?us.

La dernière belle noce où je fus,

C'était le jour de la Toussaint,

Il y avait abondance de boire et de rire,

Et beaucoup de joie et de jeu.

Et les cloches sonnaient, et les vieilles femmes chantaient,

Et les jeunes dansaient dans la salle,

L'épouse alla au lit, avec son sot mari,

Au milieu de toutes ses commères[674].

Il y a aussi le jour de noces de Meg du moulin, qui aimait bien une goutte de whiskey le matin. Tout le monde semble y avoir été gris. On remporta à bras le fiancé, on remporta le clerc dans une voiture.

Oh! savez-vous comment Meg du moulin fut mise au lit?

Et savez-vous comment Meg du moulin fut mise au lit?

Le futur était si gris qu'il tomba tout d'un tas à c?té.

Et voilà comment Meg du moulin fut mise au lit![675]

Comme il est à prévoir, la vie conjugale réunit tout un groupe de ces chansons. En général, elle n'est pas représentée en brillantes couleurs. Du c?té attrayant, à peine une petite chanson, pleine de cranerie et de belle humeur, fredonne-t-elle la joie d'un homme tout fier d'avoir une femme à soi et décidée à défendre son bien. Elle est très enlevée et très jolie; on a vu à quel propos elle a été composée[676].

J'ai pris une femme pour moi seul,

Je ne partagerai avec personne,

Personne ne me fera cocu,

Je ne ferai cocu personne.

J'ai un penny à dépenser

Qui ne doit rien à personne;

Je n'ai rien à pouvoir prêter,

Je n'emprunterai de personne.

De personne je ne suis le ma?tre,

Je ne serai esclave de personne.

J'ai une brave épée écossaise,

Je n'accepte de coups de personne.

Je serai libre et joyeux,

Je ne serai triste pour personne.

Si personne n'a souci de moi,

Je n'aurai souci de personne[677].

Pour le reste, c'est un concert de lamentations, toutes placées d'ailleurs, dans la bouche des hommes. Le titre d'une chanson Je voudrais ne m'être jamais marié[678], pourrait servir d'épigraphe à l'ensemble. Quels tracas de toutes parts! Des inquiétudes, des soucis, des enfants qui demandent à manger. Et les femmes! Une collection de commères, de maritornes, de viragos acariatres, hargneuses et malfaisantes qui criaillent, disputaillent et braillent, au jour la journée. Elles font de leurs pauvres hommes de vrais martyrs[679]. Une d'elles boit et casse sa quenouille sur la tête de son mari[680]. Une autre reproche au sien, depuis sept longues années de n'être plus qu'un vieux sans sève. Et lui, doucement, répond qu'il a vu le jour, et elle aussi, où elle n'était pas si revêche. Cette querelle de vieux époux, tombés en sénilité, est comme la contre-partie et la caricature de la chanson de John Anderson. Les enfants arrivent en criant que le canard, en passant entre les jambes du vieux grand-père, l'a fait tomber.

Les enfants sortirent avec de grands cris,

?Le canard a fait tomber grand-père, ?!?

?Le diable le ramasse, cria la grand'mère restue,

Il n'a jamais été qu'un clampin, ?!

Il clampine en sortant, il clampine en entrant,

Il clampine, matin et soir, ?;

Voilà sept longues années que je couche près de lui,

Et ce n'est plus qu'un vieux sans sève, ?.?

?? veux-tu te taire, ma vieille femme restue,

? veux-tu te taire, Nansie, ?!

J'ai vu le jour et toi aussi,

Où tu n'étais pas si fière, ?;

J'ai vu le jour où tu mettais du beurre dans mon potage,

Où tu me caressais, soir et matin, ?;

Mais ?je ne puis plus? est venu me trouver,

Et ah! je m'en ressens durement, ?.?[681]

Il y a dans ces deux strophes l'histoire de bien des vieux ménages où le mari caduc et brisé répond aux railleries de la femme encore verte par des rappels de souvenirs et semble insinuer qu'il y a quelque ingratitude de sa part à lui reprocher l'état où il est. Il ne fait pas toujours bon de tenir tête à ces gaillardes; plus d'un ne s'y fie pas. L'un des maris nous prend à moitié dans sa confidence, mais il a peur et s'arrête à mi-chemin. Il y a, dans cette chanson de deux strophes, toute une scène de comédie. Il faudrait l'analyser, mot à mot, dans l'original, pour voir ce qu'il y tient, dans un si court espace, de colère, de peur, de malice et de dr?lerie. Il y a surtout à la fin une bouffée de fureur où l'homme s'oublie et va dire brutalement ce qu'il a sur le c?ur. Mais avec quelle prestesse il rentre ses paroles et comme il se calme tout à coup! On le voit prendre l'air détaché de quelqu'un qui ne pense à rien et siffle pour se distraire.

Quand Maggy commen?a à être mon souci,

Le ciel, pensais-je, était dans son air,

Maintenant, nous sommes mariés; n'en demandez pas plus:

Sifflons sur le reste.

Meg était douce et Meg était charmante,

La jolie Meg était l'enfant de la nature;

De plus sages que moi ont été attrapés:

Sifflons sur le reste.

Comment nous vivons, Meg et moi,

Comme nous nous aimons et nous entendons,

Je me soucie peu que beaucoup le sachent:

Sifflons sur le reste.

Que je voudrais la voir viande à vers,

Servie dans un plat de linceul,

Je pourrais l'écrire, mais Meg le verrait:

Sifflons sur le reste[682].

Ce sentiment se trouve exprimé d'une fa?on bien originale dans une sorte de chanson qui fait penser à certains morceaux où Shakspeare emprunte aux vieux refrains populaires. Elle a le charme presque inexplicable que donne aux ballades ou chansons populaires un vers, une image, un nom de plante qui semble n'avoir aucun rapport avec elles, et qui cependant fait leur attrait. Il est vrai qu'ici on peut trouver un faible lien de pensée entre la ritournelle et le thème, si on considère la rue comme une plante de malheur qui prospère, tandis que le gai et honnête thym dépérit.

Un vieil homme vivait dans les coteaux de Kellyburn,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym;

Et il avait une femme qui était la peste de sa vie;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Un jour que le vieil homme remontait la longue glen,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Il rencontra le diable, qui lui dit: ?comment vas-tu??

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Je possède une méchante femme, Monsieur, et c'est là ma peine,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Car, sauf votre respect, près d'elle vous êtes un saint;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

?Je ne te prendrai ni ton poulain ni ton veau,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Mais donne-moi ta femme, homme, car je veux l'avoir;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

?Oh! vous êtes bienvenu, volontiers? dit le vieil homme joyeux,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym;

Mais si vous faites la paire avec elle, vous êtes pire que votre nom,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Le diable a pris la vieille femme sur son dos;

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym;

Et, comme un pauvre colporteur, il a emporté son paquet,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Il l'a emportée chez lui, à la porte de son étable,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym;

Et il lui a dit d'entrer, comme chienne et catin;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Et soudainement il fit que cinquante diables choisis

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Vinrent la garder, en un claquement de main;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

La mégère se rua sur eux comme un ours sauvage,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Ceux qu'elle attrapait n'y revenaient plus;

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Un petit démon enfumé passa la tête par-dessus le mur,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

?Oh, au secours, ma?tre, au secours; ou elle va nous démolir tous?,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Et le diable jura par le fil de son coutelas,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Qu'il plaignait l'homme qui était lié à une femme,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Et le diable jura par l'église et la cloche,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Et remercia le ciel d'être en enfer et non en mariage,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

Puis Satan s'est remis en route avec son paquet,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym;

Et il l'a rapportée à son vieux mari,

Et le thym est flétri et la rue est en fleur.

?Je suis démon depuis déjà un bout de temps,

Hey, et la rue cro?t bien avec le thym,

Mais je n'ai jamais été en enfer avant d'avoir connu femme,?

Et le thym est flétri et la rue est en fleur[683].

Aussi quel soupir de délivrance lorsque la mort, voulant donner à ces pauvres gens quelques années de tranquillité, vient leur enlever leur femme. Ils ressemblent tous au veuf de Béranger[684]. Ils ont des regrets pleins de satisfaction. L'un d'eux, modéré dans sa libération, dit avec douceur et un certain reste de crainte:

J'épousai une femme acariatre,

Un quatorzième jour de novembre,

Elle m'avait rendu las de la vie,

Par sa langue déréglée.

Longtemps j'ai porté le joug pesant,

Et j'ai connu mainte angoisse;

Mais, cela soit dit à mon soulagement,

Maintenant sa vie est finie[685].

Une belle tombe recouvre son corps, dit-il, mais s?rement, son ame n'est pas en enfer, car le diable ne pourrait la supporter. Un autre qui a un peu moins de décorum exprime les mêmes sentiments en termes plus pittoresques:

Enfin ses pieds, je chantai de le voir,

Partirent en avant, derrière la colline,

Et avant que j'épouse une autre

Je gigoterai au bout d'une corde[686].

Après cette allégresse unanime, il se fait une séparation entre ces époux libérés. Ils penchent vers l'un ou l'autre des deux raisonnements qui s'offrent aux veufs, quand ils commencent à se remettre de leur première joie: si on n'a pas été heureux, il faut essayer de l'être; ou si on a été malheureux, il faut éviter de le redevenir. Les uns, les plus sages, ne démordent plus de cette seconde conclusion. Comme le mari de tout à l'heure, ils préfèrent avoir une corde au cou qu'une femme. On ne saurait les en blamer. D'autres, hommes de beaucoup d'audace et de peu de découragement, tentent un nouvel essai. Quelquefois, ils ne s'en trouvent pas mal, soit que leurs premiers déboires les aient rendus aisés à satisfaire, soit que la fortune malicieuse se serve d'eux comme des numéros gagnants qui, aux loteries, entra?nent les autres.

Oh! j'ai pris plaisir à remettre des dents aux peignes à lin,

Et j'ai pris plaisir à faire des cuillers;

Et j'ai pris plaisir à rétamer des chaudrons,

Et à embrasser ma Katie quand tout était fini.

Oh! tout le long jour, je frappe avec mon marteau,

Et tout le long jour, je siffle et je chante,

Et toute la longue nuit, je caresse ma commère,

Et toute la longue nuit, je suis heureux comme un roi.

Amèrement, en chagrin, je go?tais mes gains,

Quand j'épousai Bess pour lui donner un esclave.

Heureuse l'heure où elle s'est refroidie dans ses linges;

Béni l'oiselet qui chante sur sa tombe.

Viens dans mes bras, ma Katie, ma Katie,

Viens dans mes bras et embrasse-moi encore,

Gris ou sobre, toujours à ta santé, ma Katie,

Et béni le jour où je me remariai[687].

Le tableau ne serait pas complet s'il y manquait l'adultère. Ce serait comme une forêt où il n'y aurait pas de lierre autour des arbres. La Réforme a bien essayé de faire le silence sur cette faute, et, à lire les littératures protestantes, on s'imaginerait qu'elle n'existe pas. Dans l'?uvre immense de Shakspeare, il n'y a guère qu'un adultère, celui des filles du roi Lear et d'Edmund, comme si ces créatures monstrueuses ne pouvaient aimer qu'entre elles. Dans le roman anglais contemporain, on découvre à peine quelques timides aspirations vers les amours illégitimes; et si, dans la poésie, la belle reine Guinevra a trompé le bon roi Arthur pour le brave chevalier Lancelot[688], ce sont des personnages si immatériels et si distants que c'est un adultère tout idéal. Pour voir ce qui lui manque de chair, qu'on le compare à celui de Fran?oise de Rimini[689]. Mais il faut bien entendre que cette décence est une convention littéraire et une pure tenture. La vie est partout la même, et l'adultère est chose trop humaine pour faire défaut à une race bien constituée. Si les nations du midi en ont fait un des grands ressorts du drame et de la poésie, c'est qu'il est, en effet, un des ma?tres actes de la vie, et qu'elles ont des littératures plus sincères. Aussi, dès qu'en Angleterre on rencontre des poètes sans préoccupation morale ou théologique, cet épisode reprend la place qui lui revient dans toute représentation fidèle de la comédie humaine. Burns était trop dégagé d'entraves de ce c?té, pour ne pas avoir toute sa liberté. Il reprend, dans le vieux fonds de joyeuseté populaire, cet éternel sujet, et il le traite avec le sans-gêne, la franchise, et la ga?té des vieux fabliaux gaulois.

était-ce ma faute?-était-ce ma faute?

était-ce ma faute? Elle me l'a demandé;

Elle me guettait sur le bord de la grand'route,

Et elle m'a conduit par le petit sentier;

Et comme je ne voulais pas entrer,

Elle m'a appelé poltron;

Quand même l'église et l'état auraient été sur le chemin,

Je suis descendu de cheval quand elle me l'a dit.

Si adroitement, elle m'a fait entrer,

Et m'a recommandé de ne pas faire de bruit:

?Car notre vieil homme rude et dur

Est de l'autre c?té de la rivière?.

Celui qui dira que j'ai eu tort

Quand je l'ai embrassée et caressée,

Qu'on le plante à ma place,

Et qu'il dise ensuite si j'étais le fauteur?

Pouvais-je honnêtement, pouvais-je honnêtement,

Pouvais-je honnêtement la refuser?

J'aurais été un homme à blamer

De la traiter sans douceur.

Il l'écorchait avec le peigne à chanvre,

Il la meurtrissait rouge et bleu.

Quand un tel mari n'était pas à la maison,

Quelle est la femme qui ne l'aurait excusée?

J'essuyai longtemps ses yeux si bleus,

Et je maudis le brutal chenapan;

Et je sais bien que sa bouche avenante

était comme du sucre candi.

C'était vers le crépuscule, je crois,

Que je m'arrêtai le lundi.

Je ressortis dans la rosée du mardi,

Pour aller boire du cognac chez le joyeux Willie[690].

Ce ne sont là que les situations saillantes et les hauts-reliefs de la vie. Dans les intervalles, dans les situations de détail, dans les recoins de sentiment, s'intercalent des chansons qui complètent cette scène déjà si variée. Ce sont parfois de simples riens, jetés en l'air, au hasard, tels que ceux qu'on fredonne sans penser, en suivant une route. Et cependant ils contiennent leur petit grain d'observation ou de ga?té. En voici un exemple dans quelques couplets qui semblent tout blancs de farine:

Hey, le meunier poudreux,

Et son habit poudreux,

Il gagne un shelling,

Avant de dépenser un liard.

Poudreux était l'habit,

Poudreuse était la couleur,

Poudreux était le baiser

Que me donna le meunier.

Hey, le meunier poudreux,

Et son sac poudreux,

Béni soit le métier

Qui remplit la bourse poudreuse,

Amène l'argent poudreux;

Je donnerais ma robe

Pour le meunier poudreux[691].

Il y en a de ces refrains, d'éparpillés de tous c?tés. C'est la jolie Peg de Ramsay: la rafale du soir est froide sur la mare, l'aurore est morose quand les arbres sont nus à No?l, les collines et les vallons sont perdus dans la neige; mais, la jolie Peg de Ramsay a toujours à moudre à son moulin[692]. C'est le joueur de cornemuse venu du Comté de Fife et qui a joué à la cousine Kate un air que personne ne lui demandait[693]. Ce sont les filles à qui on annonce qu'il vient d'arriver un bateau tout chargé de maris[694]. C'est une commère qui avoue ses fredaines.

Comment ?a va-t-il, commère?

Comment allez-vous?

Une pinte du meilleur

Et deux pintes avec?

Comment ?a va-t-il commère,

Et comment vont les affaires?

Combien d'enfants avez-vous?

La commère dit: ?J'en ai cinq?.

?Et sont-ils tous de Johnny??

?Oh! pour ?a, non, dit-elle,

Deux d'entre eux ont été faits

Quand Johnny n'était pas là.

Les chats aiment bien le lait,

Les chiens aiment le potage,

Les gars aiment les fillettes,

Et les fillettes, les gars.

Nous étions tous endormis, endormis, endormis,

Nous étions tous endormis à la maison[695].

Parfois, ce sont de légers épisodes d'une nuance un peu différente de ceux qu'on a déjà vus et qui se groupent autour d'une même situation. Ainsi, parmi les jeunes filles qui vont trouver les commères pour consulter leur expérience, il y en a une qui désire savoir de quelle couleur sont les hommes en qui on peut avoir confiance. Ce n'est rien: quatre strophes de quatre vers. Cependant la scène y est tout entière et fort jolie. On voit arriver la fillette tout occupée, comme il sied à son age, de cette obscure question. Comme elle ignore encore que ce problème est du domaine de la méthode expérimentale, elle fait appel à l'autorité. Elle vient timidement consulter une vieille matrone qui a fait sur ce sujet des études comparées. Dans quelle incertitude d'esprit, dans quelle confusion de couleurs, la pauvrette doit s'en aller!

?Dites-moi, dame, dites-moi, dame,

Et nulle ne peut mieux le dire,

De quelle couleur doit être l'homme,

Pour aimer vraiment une femme??

La vieille femme s'agita en tous sens,

Se mit à rire et répondit:

?J'ai appris une chanson dans Annandale:

Pour ma lady, un homme noir;

Mais pour une fillette des champs comme toi,

Ma petite, je te le dis sincèrement,

Je me suis accommodée de cheveux blancs,

Et les bruns font fort bien l'affaire.

Il y a beaucoup d'amour dans les cheveux noir de corbeau,

Les blonds ne deviennent jamais gris,

Il y a ?de l'embrasse et serre-moi? dans les bruns,

Et de vraies merveilles dans les roux[696]?.

Ce n'est pas tout. Il y a, au fond des anciennes chansons écossaises, une veine de plaisanteries gaillardes et grivoises, parfois un peu grasses, mais pleines de ga?té et de bonhomie. Elles rappellent singulièrement notre gauloiserie. C'est le même rire goguenard, bon enfant et réjoui, sur les mêmes sujets qu'on devine. Ce sont de ces histoires ou ces plaisanteries salées qu'on se raconte avec un clin d'?il et un coup de coude. Elles sont plus drues et plus gaies dans les chansons écossaises que dans celles des Anglais. Peut-être un fonds de joyeuseté celtique, peut-être l'influence fran?aise, en sont-elles la cause? Même à ce filon extrême Burns a emprunté; il en rapporte des modèles de grosse dr?lerie populaire. Il a repris cette note de temps plus francs et de plaisanterie plus libre, et l'a rajeunie, tout en lui conservant, avec un bonheur parfait, sa verve, sa saveur, sa na?veté, son rire sans arrière-pensée, je ne sais quelle bonne jovialité contagieuse et rabelaisienne. Les critiques anglais ne paraissent pas beaucoup priser ce coin curieux de son génie. Pourtant, il est à noter et, pour qui ne fait pas carême en littérature, il est à go?ter. Quoi de plus joli et de plus gai dans ce vieux genre que l'histoire du petit tailleur?

Le tailleur a passé à travers le lit, avec son dé et le reste;

Le tailleur a passé à travers le lit, avec son dé et le reste;

Les couvertures étaient minces, les draps étaient étroits,

Le tailleur a passé à travers le lit, avec son dé et le reste.

La fillette endormie ne craignait pas de mal,

La fillette endormie ne craignait pas de mal,

Le temps était froid, la fillette restait tranquille,

Elle pensait qu'un tailleur ne pouvait pas lui faire de mal.

?Donnez-moi encore un liard, rusé jeune homme,

Donnez-moi encore un liard, rusé jeune homme,

Le jour est court et la nuit est longue,

C'est le plus cher argent que j'aie jamais gagné?.

Il y a quelqu'un qui est triste de coucher seule,

Il y a quelqu'un qui est triste de coucher seule,

Il y a des gens qui sont tristes et voudraient, je gage,

Voir le petit tailleur, revenir en trottinant[697].

Il y a encore ce gredin de tonnelier de Cuddie qui fait un joli travail dans le pays.

Le tonnelier de Cuddie est venu ici,

Il nous a mis des cercles à nous toutes;

Et notre ménagère a re?u un coup de maillet,

Qui a mis en colère son sot mari ?.

Nous cacherons le tonnelier derrière la porte,

Derrière la porte, derrière la porte,

Nous cacherons le tonnelier derrière la porte,

Et nous le couvrirons d'un panier ?.

Le mari les chercha dehors, il les chercha dedans,

Criant: ?Qu'il aille au diable, et qu'elle aille au diable!?,

Mais le vieux sot était si stupide et si aveugle

Qu'il ne savait pas où il allait lui-même ?.

Ils ont tonnelé le matin, ils ont tonnelé le soir,

Si bien que notre ma?tre fut un sujet de rire;

De chaque c?té du front elle lui a planté une corne,

Et jure qu'elles resteront là ?.

Nous cacherons le tonnelier derrière la porte,

Derrière la porte, derrière la porte,

Nous cacherons le tonnelier derrière la porte,

Et nous le mettrons sous un panier ?[698].

Rien ne manque, on le voit, à cette parodie de la plus sérieuse des passions. On y rencontre, dans toute leur diversité, toutes les situations risibles où, grace à elle, les deux sexes se mettent vis-à-vis l'un de l'autre. On y entend tous les tons, depuis le rire très fin jusqu'au plus lourd. C'est une comédie multiple, tour à tour malicieuse, légère, bouffonne, parfois presque grossière, parfois presque émue, une suite inépuisable de caricatures, tant?t subtilement crayonnées comme pour des délicats, tant?t brutalement charbonnées comme pour mettre en branle de pesantes ga?tés villageoises. à elle seule, elle formerait une ?uvre curieuse et rare, d'une étendue et d'une souplesse singulières. Elle semble plus surprenante encore, si on songe que ce même homme a reproduit, avec une variété et une puissance égales, le c?té délicat, gracieux et poétique de l'amour.

Il est en cela remarquable et, on peut le dire, unique, entre les poètes de l'amour. Ceux qui en ont rendu le charme tout-puissant en parlent sur un ton qui ne souffre pas le sourire. L'ironie que quelques-uns y mettent parfois n'a rien de plaisant et n'est qu'une fa?on de colère. Ils croiraient profaner la passion dont ils ont vécu et dont ils souffrent, s'ils en discouraient autrement qu'avec éloquence et respect. Au contraire, les poètes qui en ont saisi les ridicules et les jeux comiques, en ont ignoré les beaux élans et les délicieuses mélancolies. De telle sorte qu'on n'a guère d'écrivain qui se soit trouvé capable d'en rendre les deux faces. Il faut aller aux grands poètes impersonnels, aux grands montreurs de la vie humaine, à Shakspeare ou à Molière, pour trouver des exemples de ce double coup d'?il. Burns l'a eu et, parmi les poètes personnels, il est le seul. Il a opposé à toute une série de pièces pleines des adorations de l'amour, toute une autre série pleine de ses dérisions. Il en a écrit pour ainsi dire la farce. C'est à nos yeux une autre preuve du fonds de poète dramatique qui existait en lui. Nous avons été surpris de trouver dans le remarquable essai de M. Stevenson que Burns n'avait donné d'indice de puissance dramatique que dans ses Joyeux Mendiants[699]. Le seul fait de cette double représentation d'un sentiment qui n'est universellement per?u que d'un seul c?té, sauf par les plus grands ma?tres du drame, indique qu'il y avait en lui quelque chose de leurs dons. Et si on prenait une à une chacune de ces chansons, on y trouverait une action, des personnages dont le caractère est indiqué d'un trait, souvent un dialogue, une scène de comédie, étonnamment indiquée en quelques strophes. Dans chacun de ces riens, si mouvementés, si scéniques, il y a une étincelle d'un génie capable de saisir l'homme depuis le rire jusqu'aux larmes, et de retracer le tableau complet de la vie humaine.[Lien vers la Table des matières.]

            
            

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